Inde Un vélo contre les castes
Sous ses airs d'adolescente timide, Mamta est une force de la nature. Par sa seule persévérance,,cette gamine indienne a réussi à tordre le cou aux pratiques rétrogrades qui régissaient depuis des siècles la vie entre castres dans son village. Avec pour seule arme une bicyclette.
L'affaire commence durant l'été 2005, à Narsinghpur, petit hameau tranquille du nord est de l'Inde. Issue de la caste des "dalits" (les intouchables), le plus bas échelon du système social hindou, Mamta, 16 ans, vient de passer en première, et souhaite poursuivre ses études. Son père, un paysan sans terre, aurait préféré qu'elle se marie. Mais elle finit par le convaincre de lui acheter un vélo, afin de pouvoir se rendre à son nouveau lycée, situé à 8 kilomètres.
Le jour de la rentrée, elle se met en route. Et déclenche une petite révolution. Pour aller en cours, elle doit en effet traverser le centre du village, habité par les hautes castes. Or la tradition veut que les dalits, qui vivent dans une enclave séparée, mettent pied à terre lorsqu'ils passent à cet endroit. Mamta, elle, refuse.
Furieux les anciens organisent alors un "tribunal populaire". Son père est sommé de lui apprendre les bonnes manières. Pis encore, Mamta pourrait renoncer à ses études. Lui même analphabète, le vieil homme tente de raisonner sa fille. Mais celle ci a la tête dure. " il avait peur, pas moi, affirme t-elle en souriant. Je savais que j'étais dans mon droit." Impressionnées par son courage. Les autres familles dalits décident de la soutenir : après tout, Mamta est la première fille de la communauté à avoir poussé ses études aussi loin. Dans le village, la tension monte. Au point que le commissaire du district mobilise deux policiers pour escorter chaque jour l'adolescente jusqu'au lycée. "Ils sont restés avec nous pendant un mois, raconte sa grand mère, Bharanti Nayak. S'ils n'avaient pas été là, nous aurions tous été tués. " Les familles dalits n'échappent cependant pas au boycott. Plus personne ne leur adresse la parole, les magasins refusent de les servir et les hommes, employés comme ouvriers agricoles par les propriétaires terriens de hautes castes, sont tous licenciés. " Nous avons beaucoup souffert, témoigne encore la grand mère. Mais nous ne regrettons rien, car maintenant nous sommes libres."
Deux ans plus tard, l'affront de Mamta a en effet provoqué bien des changements à Narsinghpur. Le vélo, tout d'abord, que la plupart des dalits enfourchent désormais sans se poser de questions.
Oubliée, aussi, l'interdiction d'utiliser des véhicules motorisés. Terminées, les insultes gratuites et quotidiennes. " Nous faisons ce que nous voulons. Plus personne ne dit rien, dit Bharati Nayak, occupée à traire sa vache. Les hautes castes ont compris qu'elles étaient obligées de respecter la loi." Du moins en partie. Car si le boycott a fini par être levé, les hommes n'ont toujours pas été réembauchés et doivent donc aller travailler dans les hameaux voisins. La communauté n'est par ailleurs plus invitée pour les fêtes de village ou les mariages. " Mais ça commence à changer : certains se remettent à nous parler", assure Mamta. " De toute façon, peu importe, intervient sa tante. Nous n'avons pas besoin d'eux."
Aujourd'hui âgée de 18 ans, la jeune fille vient de passer son bac et souhaite devenir institutrice. Elle donne déjà des cours aux enfants de sa communauté, notamment à sa petite cousine, admise à son tour en première. Et qui écrira peut être la suite de cette histoire exemplaire dans les campagnes indiennes, où ceux que Gandhi appelait les "enfants de Dieu " continuent de faire l'objet d'une discrimination d'un autre âge...
Pierre Prakash l'EXPRESS 14/06/2007
L'affaire commence durant l'été 2005, à Narsinghpur, petit hameau tranquille du nord est de l'Inde. Issue de la caste des "dalits" (les intouchables), le plus bas échelon du système social hindou, Mamta, 16 ans, vient de passer en première, et souhaite poursuivre ses études. Son père, un paysan sans terre, aurait préféré qu'elle se marie. Mais elle finit par le convaincre de lui acheter un vélo, afin de pouvoir se rendre à son nouveau lycée, situé à 8 kilomètres.
Le jour de la rentrée, elle se met en route. Et déclenche une petite révolution. Pour aller en cours, elle doit en effet traverser le centre du village, habité par les hautes castes. Or la tradition veut que les dalits, qui vivent dans une enclave séparée, mettent pied à terre lorsqu'ils passent à cet endroit. Mamta, elle, refuse.
Furieux les anciens organisent alors un "tribunal populaire". Son père est sommé de lui apprendre les bonnes manières. Pis encore, Mamta pourrait renoncer à ses études. Lui même analphabète, le vieil homme tente de raisonner sa fille. Mais celle ci a la tête dure. " il avait peur, pas moi, affirme t-elle en souriant. Je savais que j'étais dans mon droit." Impressionnées par son courage. Les autres familles dalits décident de la soutenir : après tout, Mamta est la première fille de la communauté à avoir poussé ses études aussi loin. Dans le village, la tension monte. Au point que le commissaire du district mobilise deux policiers pour escorter chaque jour l'adolescente jusqu'au lycée. "Ils sont restés avec nous pendant un mois, raconte sa grand mère, Bharanti Nayak. S'ils n'avaient pas été là, nous aurions tous été tués. " Les familles dalits n'échappent cependant pas au boycott. Plus personne ne leur adresse la parole, les magasins refusent de les servir et les hommes, employés comme ouvriers agricoles par les propriétaires terriens de hautes castes, sont tous licenciés. " Nous avons beaucoup souffert, témoigne encore la grand mère. Mais nous ne regrettons rien, car maintenant nous sommes libres."
Deux ans plus tard, l'affront de Mamta a en effet provoqué bien des changements à Narsinghpur. Le vélo, tout d'abord, que la plupart des dalits enfourchent désormais sans se poser de questions.
Oubliée, aussi, l'interdiction d'utiliser des véhicules motorisés. Terminées, les insultes gratuites et quotidiennes. " Nous faisons ce que nous voulons. Plus personne ne dit rien, dit Bharati Nayak, occupée à traire sa vache. Les hautes castes ont compris qu'elles étaient obligées de respecter la loi." Du moins en partie. Car si le boycott a fini par être levé, les hommes n'ont toujours pas été réembauchés et doivent donc aller travailler dans les hameaux voisins. La communauté n'est par ailleurs plus invitée pour les fêtes de village ou les mariages. " Mais ça commence à changer : certains se remettent à nous parler", assure Mamta. " De toute façon, peu importe, intervient sa tante. Nous n'avons pas besoin d'eux."
Aujourd'hui âgée de 18 ans, la jeune fille vient de passer son bac et souhaite devenir institutrice. Elle donne déjà des cours aux enfants de sa communauté, notamment à sa petite cousine, admise à son tour en première. Et qui écrira peut être la suite de cette histoire exemplaire dans les campagnes indiennes, où ceux que Gandhi appelait les "enfants de Dieu " continuent de faire l'objet d'une discrimination d'un autre âge...
Pierre Prakash l'EXPRESS 14/06/2007
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